Cet article a été publié dans le Bulletin n°202 du 1er trimestre 2024.
Anne Saule-Szepielak
Maison ND de Chartres
Jeanne d’Arc est l’un des personnages les mieux connus du Moyen-âge, grâce aux archives exceptionnelles de ses deux procès : celui en condamnation en 1431, et celui en réhabilitation en 1456 (25 ans après sa mort).
Malgré cette abondance de sources, le personnage de Jeanne d’Arc conserve une grande part de mystère. Cette part de Jeanne qui résiste à l’examen biographique minutieux a laissé libre cours à toutes sortes d’interprétations, qui ont beaucoup varié au cours des siècles, et ne sont pas toujours dénuées d’arrière-pensées politiques.
Aujourd’hui encore, il arrive que l’on perpétue une vision tronquée de son existence, vision qui peut prendre deux formes différentes :
- la première, plutôt défendue par des non-croyants, consiste à louer l’icône politique et la brillante stratège militaire en négligeant la dimension spirituelle qui ne serait que l’expression de l’exaltation naïve d’une paysanne sans instruction.
- la seconde, répandue chez les chrétiens, consiste à honorer la Sainte qui a su se préserver du mal dans les pires situations, à détacher son action politique et militaire de la dimension spirituelle : ceux-ci considèrent que Dieu n’a pas pu vouloir faire de Jeanne une guerrière et l’entraîner dans une querelle entre deux rois et deux partis qui n’étaient pas moins catholiques l’un que l’autre.
Pour le dire crûment, cela revient à penser, dans un cas comme dans l’autre, que Jeanne était une grande dame à qui il arrivait de « délirer ».
Il y a bien un mystère chez Jeanne, un secret au cœur de son existence et de son action. Elle agit comme elle le fait parce que, dit-elle, c’est Dieu qui l’envoie. Notre esprit rationnel est mis à l’épreuve par l’irruption quasi-quotidienne du surnaturel dans la vie de Jeanne ; elle évolue simultanément au contact du monde matériel et du monde spirituel.
Comme nous allons voir, le cœur du mystère de Jeanne, c’est celui de la volonté de Dieu, ce plan de Dieu auquel nous sommes appelés à participer. « Ce plan, dit Saint Paul dans l’épître aux Ephésiens (1,10), Dieu, dans sa bonté, l’a fixé d’avance en Christ, pour conduire les temps vers l’accomplissement. Selon ce plan, tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre doivent être harmonieusement réunis en Christ ». Jeanne d’Arc, elle, a su entendre la voix de Dieu et a offert sa vie pour l’accomplissement de la volonté divine.
Voyons à présent cette vie et cette action, sous l’angle historique et dans le contexte de l’époque tout d’abord ; puis, sous l’angle spirituel, nous nous interrogerons sur ce qui peut relier son aventure exceptionnelle au dessein de Dieu.
1. La vie de Jeanne d’Arc
Jeanne d’Arc naît vers 1412 à Domrémy, un village de Lorraine. Son père est un laboureur, petit propriétaire plutôt aisé, qui fait partie des notables locaux. La famille est pieuse et compte 5 enfants. Il s’agissait probablement d’une famille de serfs. C’est ce qui ressort de la lettre royale qui anoblira la famille de Jeanne après sa mort. Au XVe siècle, on peut être à la fois prospère et de condition serve car on manque cruellement de main d’œuvre, compte tenu de la chute brutale de la démographie.
Le contexte historique et politique
Jeanne grandit à une époque particulièrement sombre. En ce début du XVe siècle, l’on subit encore les plaies apparues au siècle précédent. En effet, le XIVe siècle fut le siècle des grandes tragédies avec des famines, le début de la guerre de Cent ans, le grand schisme de l’Église. Rappelons qu’à la naissance de Jeanne, trois papes se disputent encore le trône pontifical : le pape de Rome, celui d’Avignon et enfin celui de Pise. Et puis surtout le XIVe siècle fut celui des terribles épidémies de peste qui ont emporté plus d’un tiers de la population européenne. En France, la situation est encore pire, entre 1300 et 1440, la population française décroît de 50%, passant de 20 à 10 millions d’habitants et il faudra attendre 350 ans, c’est-à-dire le début de règne de Louis XIV pour qu’elle retrouve son niveau démographique des années 1300.
Jeanne a trois ans lors de la grande bataille d’Azincourt (1415) où les Anglais écrasent la chevalerie française et conquièrent la Normandie. Azincourt est l’un des grands épisodes de la Guerre de Cent ans, dans laquelle la France est plongée depuis 1337.
Pourquoi cette guerre ? Les motivations sont multiples mais l’élément déclencheur est une querelle dynastique pour le trône de France, qui oppose la France et l’Angleterre, depuis la mort, sans héritier mâle, du dernier fils de Philippe IV le Bel. La Maison de Valois, branche cadette des Capétiens, a pris la succession. Mais la dynastie anglaise des Plantagenêts, qui descend de Philippe Le Bel par les femmes, revendique aussi le droit à la couronne de France.
La situation empire lorsque Charles VI devient Roi de France en 1380. D’abord trop jeune pour régner puis atteint de démence (probablement schizophrène), il est incapable de gouverner. Un conseil de régence est organisé mais de fortes rivalités naissent entre les régents. Peu à peu, deux clans se forment : les Bourguignons et les Armagnacs. Des assassinats de part et d’autre conduisent le pays à la guerre civile. Des soldats de tous bords sillonnent le pays et se livrent au pillage. Révolté par l’assassinat de son père (Jean-sans-Peur), le nouveau Duc de Bourgogne s’allie aux Anglais contre le Dauphin Charles qu’il rend responsable du meurtre. En 1420, le Traité de Troyes, conclu entre Charles VI, le roi Henri V d’Angleterre et le Duc de Bourgogne, déshérite le Dauphin Charles en faveur d’Henri V d’Angleterre.
Il est prévu que l’unification des couronnes de France et d’Angleterre se fera après la mort de Charles VI. Mais, lorsque les souverains des deux nations (Charles VI et Henri V) décèdent, en 1422, le Dauphin Charles se déclare roi sous le nom de Charles VII, tandis que le duc de Bedford, régent d’Angleterre, proclame roi de France et d’Angleterre le fils d’Henri V, le très jeune Henri VI âgé de quelques mois.
On est donc en 1422, Jeanne a 10 ans, et la France n’existe plus :
- Au nord de la Loire, la plupart des régions sont dominées par les Anglais ou par les Bourguignons et soutiennent le prétendant Henri VI.
- Au sud de la Loire (hormis l’Aquitaine), les régions sont contrôlées par le Dauphin Charles, soutenu par les Armagnacs.
La région où vit Jeanne est encerclée par les Anglo-Bourguignons mais elle-même et son entourage sont restés fidèles au Dauphin Charles, comme la plupart des habitants de Domrémy. Revenons à présent à la vie de Jeanne d’Arc.
De Domrémy à Chinon
À 13 ans, Jeanne commence à entendre régulièrement des voix célestes qu’elle attribue à l’Archange Saint Michel, à Sainte Catherine d’Alexandrie et à Sainte Marguerite d’Antioche qui sont deux vierges martyres. La première fois, dit-elle, elle eut très peur. Ces voix vont l’enseigner puis, progressivement lui donner l’ordre de se rendre en France pour en chasser les Anglais et faire sacrer le Dauphin Charles à Reims.
Pendant plusieurs années, Jeanne repousse sa mission arguant selon ses propres mots « qu’elle n’était qu’une pauvre fille qui ne saurait ni monter à cheval ni faire la guerre ». Elle n’en parle donc à personne et continue sa vie modeste, entre travaux domestiques, filage de la laine, aide aux moissons ou garde occasionnelle des bêtes et bien sûr ses temps de dévotion. Jeanne fait vœu de rester vierge de corps et d’âme. Elle est très pieuse, presque trop aux yeux des habitants.
Mais, en 1428, tout se précipite : les Anglais reprennent les armes. Le 12 octobre, ils assiègent Orléans, ville hautement stratégique, car tout se joue autour du contrôle du Val de Loire. À cet instant, toute l’Europe retient son souffle car il y va de l’avenir de la France. Or, la partie semble perdue pour le Dauphin Charles.
C’est à ce moment-là, à la fin de l’année 1428, que Jeanne (qui n’a pas encore 17 ans) va consentir à obéir aux voix célestes et quitter sa famille pour se rendre à Vaucouleurs. C’est là qu’elle doit rencontrer Robert de Baudricourt, le seigneur de Vaucouleurs, et lui demander une escorte pour rejoindre le Dauphin Charles. Dans un premier temps, Baudricourt refuse. Il pense avoir à faire à une illuminée. Mais Jeanne insiste. Sa foi et ses révélations impressionnent. Il finit par céder.
En février 1429, Jeanne va donc quitter la Lorraine, à cheval, en habit d’homme, avec une petite escorte et une lettre d’introduction. Elle rejoint le Dauphin Charles à Chinon, après un périlleux voyage d’une dizaine de jours, à travers les territoires ennemis.
Jeanne obtient rapidement une audience auprès du Dauphin, à qui elle demande une armée pour libérer Orléans. Prudent, le Dauphin exige qu’elle soit examinée et interrogée par des ecclésiastiques, puisqu’elle se dit envoyée par Dieu. Est-elle bien vierge comme elle le prétend ? Est-elle saine d’esprit ? Peut-on écarter chez elle tout soupçon de sorcellerie ou de possession ? Au bout de plusieurs semaines, les juges concluent en sa faveur. Ils ne trouvent en Jeanne que « bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté et simplicité ».
En avril, Charles VII prend donc sa décision : il envoie Jeanne à Orléans accompagnée d’un convoi de ravitaillement et de 3000 hommes. Jeanne se fait confectionner une armure, une épée et un grand étendard blanc, où figure le Christ au jugement, un ange tenant une fleur de lys, et l’inscription « Jésus Maria ».
D’Orléans à Reims
Jeanne et son convoi parviennent jusqu’à Orléans, et là, avec sa foi, sa confiance et son enthousiasme, elle va réinsuffler aux soldats français l’énergie de retourner la situation en moins d’une semaine. Dans la nuit du 7 au 8 mai 1429, sept mois après le début du siège, les Anglais abandonnent Orléans. C’est un triomphe pour Jeanne. Un triomphe encore amplifié par plusieurs victoires militaires en mai et en juin.
Puis Jeanne retourne auprès du Dauphin Charles et le persuade d’aller à Reims se faire sacrer Roi de France. C’est un défi énorme puisque la ville est en plein pays bourguignon. Commence alors une périlleuse chevauchée vers Reims, qui aboutira au sacre du Dauphin dans la cathédrale le 17 juillet 1429, en présence de Jeanne. L’impact de ce sacre est considérable. Charles VII, jusqu’alors surnommé « Roi de Bourges » par dérision, est légitimé pour de bon. Désormais, les Anglais sont perçus comme des occupants et les soulèvements se multiplient.
Pour la papauté aussi, les choses s’améliorent : le 26 juillet, l’antipape d’Avignon Clément VIII abdique sans condition. Il n’y a plus qu’un seul souverain pontife : le pape romain.
De Paris à Compiègne
Pour Jeanne, la mission n’est pas pour autant terminée : il faut libérer toute la France de la présence anglaise et notamment reconquérir Paris. Mais le roi et son Conseil renoncent à parachever leurs victoires. Ils veulent à tout prix mettre fin à la guerre civile et sont incapables de comprendre que l’intervention de Jeanne a renversé le rapport des forces.
L’occasion d’en finir avec les Anglais est manquée lorsque le Régent anglais propose à Charles VII de s’affronter au cours d’une vraie bataille rangée. En effet, Charles VII refuse car il croit davantage en une tactique d’usure. C’est une erreur dont il ne mesure pas les conséquences. J’en parlerai plus tard. En tout cas, quand Jeanne entame le siège de Paris début septembre, elle n’a pas obtenu les troupes nécessaires. L’assaut est donné à la porte Saint-Honoré. Mais c’est un échec et elle est blessée.
Désormais, elle ne sera plus guère soutenue par le roi. Les combats cessent, malgré les protestations de la Pucelle. L’armée royale est même dissoute à la fin du mois de septembre.
Jeanne sera malgré tout autorisée à aider les troupes fidèles qui se battent ici et là. Mais elle a très peu de moyens. En mai 1430, elle va notamment essayer de sauver Compiègne qui est assiégée par les Bourguignons, malgré la trêve signée avec Charles VII. Mais Jeanne tombe dans une embuscade et est capturée par les Bourguignons.
Rouen : procès et condamnation
Six mois plus tard, les Bourguignons la vendent aux Anglais pour 10 000 livres. Elle est emmenée à Rouen pour être jugée par un tribunal composé de 40 membres et présidé par l’évêque de Beauvais, partisan des Anglais. On l’accuse d’hérésie. Les Anglais cherchent à la discréditer pour atteindre Charles VII, qu’elle a diligemment servi. Pour autant, Charles VII n’interviendra pas pour la délivrer.
Le procès s’ouvre le 21 février 1431. Les conditions de détention sont terribles. Sa santé se dégrade. Pourtant Jeanne résiste. Elle, qui n’a pas d’avocat, déjoue les pièges des questions. Ses réponses révèlent une sagesse et une vivacité d’esprit hors du commun, avec une conscience pure.
Le 24 mai, les juges mettent en place un simulacre de bûcher pour obtenir des aveux de mensonge et lui épargner une condamnation à mort. Jeanne consent à abjurer. Elle est alors renvoyée dans sa prison aux mains des Anglais. S’estimant trompée, elle se rétracte deux jours plus tard. Et on la retrouve à nouveau vêtue d’habits d’homme pour se préserver de ses geôliers. Ce qui est considéré comme une « provocation en abomination devant Dieu ». Au XVe, on était davantage choqué par une fille vêtue en homme que par une femme en armes. Les juges la condamnent au bûcher. Elle est brûlée vive sur la place du Vieux-Marché à Rouen, le 30 mai 1431, à l’âge de 19 ans.
Dix-huit ans plus tard, Charles VII fait ouvrir une enquête sur les circonstances de son procès et de son supplice et Jeanne sera solennellement réhabilitée en 1456. Mais Jeanne ne sera béatifiée qu’en 1909, puis canonisée en 1920.
2. La spiritualité de Jeanne d’Arc
Toute l’exceptionnelle aventure de Jeanne ne prend son sens, sa dimension et sa force de rayonnement que dans la volonté essentielle d’être au service de Dieu. « Dieu premier servi », « Le plaisir de Dieu soit fait » ou encore « Il plut à Dieu de choisir une simple Pucelle » : tels sont les paroles mêmes de Jeanne, pour signifier sa consécration virginale, et le fait qu’elle était prête et disposée à se faire instrument de l’action divine.
Le secret caché dans la personne de Jeanne réside ainsi dans la source qui a donné force à son action : l’écoute de la voix de Dieu et la fidélité à sa volonté. On a parfois dit que c’était la sainte de la fidélité. Elle a cru, sans jamais les mettre en question, aux apparitions et aux paroles de ses « Voix ». Qu’a-t-elle donc vu et entendu ? Loin d’y voir seulement un épisode de légende dorée, Jeanne y a fait la rencontre de Dieu. C’est alors que sa vie chrétienne s’est approfondie, qu’elle a discerné une vocation surnaturelle, qu’elle en a tout de suite perçu la logique exigeante, renonçant aux plaisirs et aux projets de son âge, priant, communiant et se confessant davantage : pour se maintenir en état de grâce.
Jeanne témoigne que le messager céleste lui « apprit à bien se diriger. » Dieu a donc préparé son instrument par une éducation patiente.
Mission divine et mission historique de Jeanne
Jeanne a-t-elle agi pour le Roi et pour la France, sur ordre de Dieu ? Cette éventualité choque aujourd’hui, y compris chez les Chrétiens. Alors c’est vrai, chacun a le droit de croire ou de ne pas croire aux visions et voix célestes de Jeanne puisque les révélations privées ne sont pas des articles de foi. Mais à aucun moment l’on entrevoit où aurait pu se glisser l’illusion. Et toute la Bible devrait nous avoir préparés à la possibilité que cela arrive à certains êtres.
Jeanne décrit d’ailleurs avec peine ce qu’elle a vu et seulement parce qu’elle y est forcée au procès. Elle sait bien que cela jouera en sa défaveur. Elle a vu l’archange Saint Michel. Ce ne serait pas la première fois de l’histoire de l’humanité. La Bible est remplie de ces rencontres avec des êtres célestes. Depuis notre ère aussi, le Saint Archange apparaît à certaines personnes et pas des moindres, puisque ce serait notamment le cas des papes Saint Grégoire le Grand et Léon XII.
Les voix entendues par Jeanne ont fait quelques prédictions politiques. Là encore, nous devrions pouvoir l’envisager car, des prophètes de l’Ancien Testament aux révélations privées durant notre ère, notamment aux papes que je viens de citer, il y a eu de nombreuses prédictions politiques exprimées lors de ces visions. Autre question : Dieu a-t-il pu utiliser une jeune paysanne toute simple pour libérer la France ? Cela en a dérangé beaucoup. Or, oui c’est possible ; tout comme il a plu à Dieu de se servir d’un seul homme, Samson, pour commencer à sauver Israël de la main des Philistins. Et tout comme il lui a plu de se servir d’une toute jeune vierge de Judée pour donner naissance au Christ.
Pour Jean de Gerson, le grand théologien et universitaire contemporain de Jeanne, il était d’une évidence resplendissante que la Pucelle était une intervention divine en faveur de la France, il était sensible à tous les indices qui révèlent l’envoyée, « pure, faible, pieuse comme tous les instruments de Dieu ».
Mais ce qui dérange le plus certains, c’est le caractère proprement politique de sa mission divine : «…Parce que l’histoire de Jeanne est celle de l’irruption du divin dans les affaires de ce monde. »
En l’occurrence, Jeanne est envoyée pour proclamer la légitimité du Dauphin Charles. Alors quoi ? Dieu interviendrait dans les rivalités dynastiques et dans l’équilibre politique européen ? Cette question renvoie à celle de savoir comment Dieu agit dans le monde. Pour certains, il est impossible qu’Il se mêle de cela… Et pourtant c’est oublier que Dieu, dans l’Ancien Testament, est toujours intervenu pour défendre son peuple. Or, depuis le Christ, l’Église s’est établie à la place qu’occupait Israël. Certes, l’Église n’est pas la France. Mais la France vit à cette époque-là une situation injuste et dramatique.
Comme l’a dit Benoît XVI, « La libération de son peuple est une œuvre de justice humaine, que Jeanne accomplit dans la charité, par amour de Jésus. Elle est un bel exemple de sainteté pour les laïcs engagés dans la vie politique, en particulier dans les situations les plus difficiles ».
Dans l’homélie pour la fête de Sainte Jeanne d’Arc en 2012 (600e anniversaire de sa naissance), le nonce apostolique déclara que « dans son cœur, on ne trouve pas de sentiments de haine, mais une soif de justice et de vérité. Éclairée par Dieu sur la volonté divine, elle voulait simplement rendre à la France sa dignité et sa légitime unité ».
Pour Jeanne, le Droit est de Dieu et ne se discute pas. Ce n’est pas la Paix qui est le bien suprême, mais la Justice. Il y a des guerres justes, Jeanne n’en doute pas ; son inspiration rejoint ici la réflexion des théologiens de son temps, tourmentés par la durée de la guerre franco-anglaise et scandalisés par les divisions dans la Chrétienté.
Cette mission de Jeanne n’était donc pas nécessairement de caractère militaire. De fait elle invita les Anglais à rentrer pacifiquement chez eux ; c’est le refus anglais de céder à cet ultimatum qui seul entraînera la guerre.
De même, ses armes semblent avoir été surtout des emblèmes religieux : Jeanne ne se serait pas tellement servi de son épée. Quant à son étendard, il fait plutôt figure de bannière sainte.
Sainte Jeanne d’Arc nous apprend ainsi que, lorsque le pays est marqué par la division, par le découragement et la résignation, la foi qui puise à la Sagesse divine offre au Chrétien la capacité de trouver les moyens extraordinaires d’intelligence et de force, pour offrir des raisons d’une nouvelle espérance pour la société. Habitée par l’Esprit de Sagesse, Jeanne connaissait les vues de Dieu sur son pays. Cette sagesse lui a donné une intelligence tactique et stratégique rare. Thibaud d’Armagnac, chevalier, bailli de Chartres, témoignera au procès de réhabilitation que « dans la conduite et la disposition des armées et sur le fait de guerre, elle se conduisait comme si elle avait été le capitaine le plus avisé du monde, qui eût été toute sa vie instruit dans la guerre. »
Un autre élément est frappant : Jeanne tient absolument à faire sacrer le Dauphin à Reims. Pourquoi ? Le sacre renvoie à « la conception ministérielle de la royauté » qui s’est imposée à partir du Moyen-Âge, notamment sous l’impulsion de Grégoire le Grand qui l’a théorisée : selon cette conception, le roi est avant tout un instrument de la Providence divine, un représentant de Dieu chargé de la protection de l’Église, de promouvoir le bien et de réfréner le mal. Le roi n’est pas choisi par Dieu selon ses mérites : la Providence met au pouvoir tantôt un bon roi, tantôt un mauvais, selon ses desseins cachés. Et c’est au sacre qu’il reçoit son investiture : il ne suffit donc pas d’utiliser la formule : « le Roi est mort, vive le Roi ». En cette fin du Moyen-Âge, où les valeurs humanistes remplacent peu à peu les valeurs de chrétienté, et où l’on voit poindre en Italie le modèle du « prince de la Renaissance », Jeanne, elle, rappelle la primauté du spirituel.
Un sacre, oui, mais pourquoi à Reims ? Cela aurait pu se faire à Orléans, puisque Reims était alors en territoire ennemi. Je risque ici une suggestion tout à fait libre : il est possible que Jeanne ait voulu rappeler que la France joue un rôle essentiel dans l’Église. Reims renvoie évidemment au baptême de Clovis. Le peuple franc est considéré par la tradition chrétienne comme le premier peuple barbare à avoir été baptisé dans la foi de Nicée. D’où le titre de Fille aînée de l’Église. En 1239, le pape Grégoire IX avait confirmé la mission spirituelle de notre pays. Il écrivait : « le Royaume de France est au-dessus de tous les autres peuples, couronné par la main de Dieu lui-même de prérogatives et de grâces extraordinaires ». C’est d’ailleurs à partir du XIIIe siècle que les souverains de France prendront le titre de « roi très chrétien » et qu’ils seront les premiers à partir en croisades pour délivrer les lieux saints.
Ainsi, Jeanne nous offre l’exemple d’une vie qui a suivi le plan de Dieu. Elle était une intervention divine en faveur de la France. Mais, comme l’a écrit Jean de Gerson « les iniquités des hommes peuvent empêcher la plénitude des faveurs célestes ». En effet Jeanne est morte trop tôt, abandonnée par Charles VII.
Aussi je terminerai cet exposé par un petit exercice d’uchronie (comme Blaise avec le nez de Cléopâtre) : si Charles VII avait écouté Jeanne d’Arc, il est probable que la guerre se serait arrêtée plus vite. Ce n’est qu’en 1453 que les Anglais vont quitter définitivement la France. Or, 1453 c’est l’année de la prise de Constantinople et la disparition de l’Empire Byzantin. Le pape aura essayé en vain de mobiliser Charles VII. Pareil pour l’appel à la croisade de 1456 (année du procès de réhabilitation de Jeanne). Jeanne aurait eu 40 ans, aurait-elle laissé faire cela ? Désormais, ce sont l’Autriche et la Pologne qui défendront l’Europe contre les Ottomans. Et c’est un hongrois, Jean Hunyadi qui arrêtera les Ottomans à Belgrade en 1456, lors du siège qui, selon le pape Calixte III, « décida du sort de la Chrétienté ».